« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » telle est la dernière parole que l’évangile de Marc place dans la bouche de Jésus, cri ultime de celui qui meurt sur la croix.
Cette parole qui exprime la souffrance et le sentiment d’abandon a depuis toujours troublé les lecteurs de l’Evangile. Comment comprendre cette question que Jésus pose en ses derniers instants ?
Jésus reprend alors les premiers mots du psaume 22, par lequel le croyant juif dit son désarroi : il est malmené par ses ennemis, en proie à des souffrances physiques et morales et se trouve confronté au silence de Dieu.
Ces paroles, contrairement à ce que l’on pourrait penser, demeurent malgré tout une extraordinaire expression de foi, une foi inconditionnelle en Dieu qui s’adresse à lui jusque dans l’incompréhension la plus profonde. Gardons en mémoire aussi l’étonnant retournement de situation lorsque, dans le même psaume, le psalmiste dit à Dieu : « tu m’as entendu ! », et qu’il termine sa prière par un admirable chant de louange. Ce psaume proclame ainsi la fidélité de Dieu jusques dans les situations les plus dramatiques et sans issue.
Mais revenons aux paroles de Jésus sur la croix qui sont bien l’expression d’une souffrance non seulement physique mais aussi morale et spirituelle : il se trouve livré entre les mains de ses ennemis et abandonné de tous, abandonné de Dieu lui-même. Il est vrai que ces paroles montrent jusqu’à quel point Jésus s’est abaissé en rejoignant ceux qui souffrent dans une déréliction extrême. Mais cette participation à la souffrance des hommes, si admirable soit-elle, ne nous livre pas encore le sens de la mort de Jésus.
Les versets qui suivent le récit de la passion ne nous éclairent pas beaucoup plus, sachant que le texte le plus ancien de l’Evangile de Marc se termine sur les femmes qui découvrent le tombeau vide et s’enfuient sans rien dire, tremblantes et bouleversées, comme si le tombeau vide n’apportait pas plus de réponse évidente à la mort de Jésus (Marc 16:8). Il semble bien que l’évangéliste nous invite à revenir en arrière et à chercher dans le cri déchirant de Jésus le sens profond de ces évènements.
Alors pour saisir le pourquoi de cette mort, reprenons le contexte général du procès de Jésus ainsi que l’ensemble de son ministère.
Le récit de la passion est habité par la question de la messianité et donc de la royauté de Jésus. « Es-tu le Messie, le fils du Dieu béni ? » interroge le grand-prêtre. « Je le suis » répond Jésus, qui est aussitôt accusé de blasphème et condamné à mort par le sanhédrin. « Es-tu le roi des juifs ? » lui demande Pilate, le procurateur romain qui ne trouve aucun motif de le condamner mais qui va céder à l’insistance de la foule. C’est encore du roi des juifs que les soldats se moquent dans le prétoire en le revêtant d’un manteau de pourpre et d’une couronne d’épines pour le frapper. "Le roi des juifs" : tel est le motif de la condamnation inscrit au-dessus du crucifié. Et devant la croix, c’est encore le thème du Messie qui revient. « Que le Messie, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions ! », s’exclament ironiquement les grands-prêtres…
Voici donc la question posée par l’évangile : est-ce que Jésus est bien le Messie d’Israël annoncé par les prophètes ? Ou, pour la formuler en des termes plus proches de l’Evangile : quel Messie le Seigneur a-t-il annoncé par les prophètes ? Pour quel Royaume ?
Dès les premiers mots, l’évangile nous présente Jésus comme le Christ, le Fils de Dieu. Après son baptême par Jean, Jésus commence son ministère en proclamant : le Règne de Dieu s’est approché de vous, changez de vie et croyez cette bonne nouvelle ! A partir de ce moment-là, toute la vie de Jésus est consacrée à proclamer et manifester la venue de ce Règne. Il n’est donc pas incongru de penser que la mort de Jésus vient mettre un point d’orgue à ce ministère. Mais comment imaginer que le règne de Dieu passe par la mort atroce de Jésus ? Comment comprendre que le Messie puisse s’écrier sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
C’est en fin de compte l’incompréhension des grands-prêtres et de la foule devant la croix qui nous révèle ce qui se joue dans cette mort : il fallait que toutes les attentes fausses et sans issue des hommes soient mises par terre. Tout ce que projettent sur le Sauveur attendu, les disciples, les grand-prêtres, la foule,… et nous-mêmes, doit être anéanti. Par cette mort, abandonné sur la croix, Jésus détruit l’image idolâtre que nous nous faisons de Dieu, cette image qui n’est qu’une projection de nous-même pour nous sécuriser et nous survivre à nous-mêmes, tel que nous sommes. Les hommes appellent Dieu à l’aide mais pour que ce Dieu viennent conforter leur existence, leurs erreurs, leur endurcissement, leur volonté de puissance, leur égo. Dieu oppose à cette attente une fin de non-recevoir et en livrant Jésus entre les mains des hommes, c’est à nous que Dieu oppose son silence. C’est la grâce des premiers croyants d’avoir changer de perspective et perçu dans la croix, suprême échec de Jésus, la puissance de Dieu qui ouvre un chemin nouveau. Ce règne ne vient pas dans une majesté écrasante, la force ou la gloire mais il se fraye un chemin à travers l’abandon de Jésus, le juste souffrant par excellence. Certes, la puissance de Dieu reste cachée, invisible aux yeux des hommes mais l’évangile va nous la révéler à travers deux signes.
Tout d’abord, le voile du Temple se déchire, ce voile qui empêchait d’entrer dans la proximité de Dieu et qui cachait le Seigneur aux yeux des hommes, ce voile que Dieu a ordonné à Moïse de placer pour se préserver et préserver les hommes de leur volonté de puissance. Et comme un écho à cette déchirure, au milieu de l’incompréhension générale de la foule présente, une personne s’écrit : « cet homme était vraiment le Fils de Dieu ! ».
C’est un centenier romain, symbole du paganisme et de la force militaire et politique qui reconnait à ce moment précis l’identité profonde de Jésus : voici, le règne de Dieu vient d’entrer dans le coeur de l’homme !
Déchirure du voile du temple, ouverture du coeur de l’homme, deux faces de l’accomplissement d’un premier signe qui se trouve au commencement de l’Evangile : lorsque Jésus est baptisé, le ciel se déchire et l’Esprit de Dieu descend sur le Fils bien-aimé. Et maintenant, par la mort de ce Fils, l’homme peut à son tour, être baptisé du même Esprit et devenir pleinement le bien-aimé du Père !
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Dans ce cri d’abandon de Jésus se réalisent la délivrance pour tout homme qui croit et l’ouverture d’un nouveau chemin de vie. Profondément marqué par l’esprit et l’exemple de Jésus, celui qui reconnaît en ce crucifié le fils bien-aimé ne pourra pas rester indemne. Comme Jacob, après sa rencontre avec l’ange du Seigneur, part en boitant pour sa vie entière, la mort qui apporte la vie marquera le croyant au plus profond de son être : à lui maintenant de vivre jusqu’au bout l’obéissance au crucifié ressuscité !
Jésus reprend alors les premiers mots du psaume 22, par lequel le croyant juif dit son désarroi : il est malmené par ses ennemis, en proie à des souffrances physiques et morales et se trouve confronté au silence de Dieu.
Ces paroles, contrairement à ce que l’on pourrait penser, demeurent malgré tout une extraordinaire expression de foi, une foi inconditionnelle en Dieu qui s’adresse à lui jusque dans l’incompréhension la plus profonde. Gardons en mémoire aussi l’étonnant retournement de situation lorsque, dans le même psaume, le psalmiste dit à Dieu : « tu m’as entendu ! », et qu’il termine sa prière par un admirable chant de louange. Ce psaume proclame ainsi la fidélité de Dieu jusques dans les situations les plus dramatiques et sans issue.
Mais revenons aux paroles de Jésus sur la croix qui sont bien l’expression d’une souffrance non seulement physique mais aussi morale et spirituelle : il se trouve livré entre les mains de ses ennemis et abandonné de tous, abandonné de Dieu lui-même. Il est vrai que ces paroles montrent jusqu’à quel point Jésus s’est abaissé en rejoignant ceux qui souffrent dans une déréliction extrême. Mais cette participation à la souffrance des hommes, si admirable soit-elle, ne nous livre pas encore le sens de la mort de Jésus.
Les versets qui suivent le récit de la passion ne nous éclairent pas beaucoup plus, sachant que le texte le plus ancien de l’Evangile de Marc se termine sur les femmes qui découvrent le tombeau vide et s’enfuient sans rien dire, tremblantes et bouleversées, comme si le tombeau vide n’apportait pas plus de réponse évidente à la mort de Jésus (Marc 16:8). Il semble bien que l’évangéliste nous invite à revenir en arrière et à chercher dans le cri déchirant de Jésus le sens profond de ces évènements.
Alors pour saisir le pourquoi de cette mort, reprenons le contexte général du procès de Jésus ainsi que l’ensemble de son ministère.
Le récit de la passion est habité par la question de la messianité et donc de la royauté de Jésus. « Es-tu le Messie, le fils du Dieu béni ? » interroge le grand-prêtre. « Je le suis » répond Jésus, qui est aussitôt accusé de blasphème et condamné à mort par le sanhédrin. « Es-tu le roi des juifs ? » lui demande Pilate, le procurateur romain qui ne trouve aucun motif de le condamner mais qui va céder à l’insistance de la foule. C’est encore du roi des juifs que les soldats se moquent dans le prétoire en le revêtant d’un manteau de pourpre et d’une couronne d’épines pour le frapper. "Le roi des juifs" : tel est le motif de la condamnation inscrit au-dessus du crucifié. Et devant la croix, c’est encore le thème du Messie qui revient. « Que le Messie, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions ! », s’exclament ironiquement les grands-prêtres…
Voici donc la question posée par l’évangile : est-ce que Jésus est bien le Messie d’Israël annoncé par les prophètes ? Ou, pour la formuler en des termes plus proches de l’Evangile : quel Messie le Seigneur a-t-il annoncé par les prophètes ? Pour quel Royaume ?
Dès les premiers mots, l’évangile nous présente Jésus comme le Christ, le Fils de Dieu. Après son baptême par Jean, Jésus commence son ministère en proclamant : le Règne de Dieu s’est approché de vous, changez de vie et croyez cette bonne nouvelle ! A partir de ce moment-là, toute la vie de Jésus est consacrée à proclamer et manifester la venue de ce Règne. Il n’est donc pas incongru de penser que la mort de Jésus vient mettre un point d’orgue à ce ministère. Mais comment imaginer que le règne de Dieu passe par la mort atroce de Jésus ? Comment comprendre que le Messie puisse s’écrier sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
C’est en fin de compte l’incompréhension des grands-prêtres et de la foule devant la croix qui nous révèle ce qui se joue dans cette mort : il fallait que toutes les attentes fausses et sans issue des hommes soient mises par terre. Tout ce que projettent sur le Sauveur attendu, les disciples, les grand-prêtres, la foule,… et nous-mêmes, doit être anéanti. Par cette mort, abandonné sur la croix, Jésus détruit l’image idolâtre que nous nous faisons de Dieu, cette image qui n’est qu’une projection de nous-même pour nous sécuriser et nous survivre à nous-mêmes, tel que nous sommes. Les hommes appellent Dieu à l’aide mais pour que ce Dieu viennent conforter leur existence, leurs erreurs, leur endurcissement, leur volonté de puissance, leur égo. Dieu oppose à cette attente une fin de non-recevoir et en livrant Jésus entre les mains des hommes, c’est à nous que Dieu oppose son silence. C’est la grâce des premiers croyants d’avoir changer de perspective et perçu dans la croix, suprême échec de Jésus, la puissance de Dieu qui ouvre un chemin nouveau. Ce règne ne vient pas dans une majesté écrasante, la force ou la gloire mais il se fraye un chemin à travers l’abandon de Jésus, le juste souffrant par excellence. Certes, la puissance de Dieu reste cachée, invisible aux yeux des hommes mais l’évangile va nous la révéler à travers deux signes.
Tout d’abord, le voile du Temple se déchire, ce voile qui empêchait d’entrer dans la proximité de Dieu et qui cachait le Seigneur aux yeux des hommes, ce voile que Dieu a ordonné à Moïse de placer pour se préserver et préserver les hommes de leur volonté de puissance. Et comme un écho à cette déchirure, au milieu de l’incompréhension générale de la foule présente, une personne s’écrit : « cet homme était vraiment le Fils de Dieu ! ».
C’est un centenier romain, symbole du paganisme et de la force militaire et politique qui reconnait à ce moment précis l’identité profonde de Jésus : voici, le règne de Dieu vient d’entrer dans le coeur de l’homme !
Déchirure du voile du temple, ouverture du coeur de l’homme, deux faces de l’accomplissement d’un premier signe qui se trouve au commencement de l’Evangile : lorsque Jésus est baptisé, le ciel se déchire et l’Esprit de Dieu descend sur le Fils bien-aimé. Et maintenant, par la mort de ce Fils, l’homme peut à son tour, être baptisé du même Esprit et devenir pleinement le bien-aimé du Père !
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Dans ce cri d’abandon de Jésus se réalisent la délivrance pour tout homme qui croit et l’ouverture d’un nouveau chemin de vie. Profondément marqué par l’esprit et l’exemple de Jésus, celui qui reconnaît en ce crucifié le fils bien-aimé ne pourra pas rester indemne. Comme Jacob, après sa rencontre avec l’ange du Seigneur, part en boitant pour sa vie entière, la mort qui apporte la vie marquera le croyant au plus profond de son être : à lui maintenant de vivre jusqu’au bout l’obéissance au crucifié ressuscité !
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