Le don d’une transformation radicale
Actes 9 : 1-31
Prédication du 12 août 2018
En 2012, un sondage révélait qu’environ un tiers des français (29 % exactement) se disaient athées et un autre tiers (34 %) sans religion précise, même s’ils croient en un esprit ou une force supérieure. La France serait ainsi le 4ème pays le plus athée du monde derrière la Chine, le Japon et la République Tchèque. Nous retrouvons ici les fruits du siècle des lumières, de la rupture opérée par la révolution française et de la laïcité à la française mais aussi du développement de la communication qui confronte chacun à une telle multiplicité de croyances et de pensées qu’elle confine à la confusion.Prédication du 12 août 2018
Je rencontre ainsi de nombreuses personnes avouant leur difficulté à croire en quelque chose, perdues au milieu de cette profusion de convictions religieuses, désabusées aussi devant les excès des convictions idéologiques ou religieuses. Certaines refusent violemment toute possibilité de croire, d’autres aimeraient trouver un socle, une force mais sont désorientées ne sachant à quelle croyance se fier.
En lisant le récit de la conversion de Saul de Tarse, la première remarque qui me vient à l’esprit est le fait que la bonne nouvelle s’adressait à des croyants. L’athéisme moderne était quasiment absent de l’antiquité. L’Evangile a d’abord été prêché aux croyants juifs et ensuite à tous ceux qui rendaient un culte à d’autres dieux. La question n’était pas s’il existait un Dieu, mais, en quel Dieu je pouvais croire et de quelle manière ?
En retour, la question se pose de savoir si l’athéisme est bien une absence de foi. Car à moins de sombrer dans un cynisme total, l’athée a toujours une confiance en l’homme, en la conscience morale ou en la capacité de forger ensemble des lois pour la société.
Ainsi la conversion de Saul n’est pas le passage d’une non-foi à la foi mais une transformation profonde, je dirais même radicale de sa foi. L’expérience que traverse Saul est le passage d’un aveuglement à une nouvelle vision et l’on pourrait intituler sa conversion « des ténèbres à la lumière ». Ce n’est pas seulement le texte biblique qui la présente ainsi, l’intervention même de Jésus dans la vie de Saul pose la foi comme une « illumination » dans le sens propre du mot ou, pour employer un autre terme, une « révélation ».
Lorsque ce Jésus, que Saul poursuit et pourfend dans la foi des premiers chrétiens en les intimidant et les arrêtant, se présente à lui, Saul tombe à terre, arrêté, foudroyé même, dans sa course folle. Lui qui était persuadé de croire et d’agir d’une manière juste, se retrouve physiquement aveugle. Il croyait voir et, la lumière se manifestant, le voici dans les ténèbres. La cécité physique devient le signe que sa vision du monde si claire jusques-là, était marquée par l’obscurité, et que la lumière qui le conduisait était un aveuglement.
Ainsi celui qui courrait pour ramener liés les chrétiens de Césarée, doit être pris en main et conduit vers cette même ville. Celui qui était plein de vie, se retrouve dans les ténèbres, sans manger, sans boire pendant trois jours, confronté à un questionnement radical : qui est ce Jésus qui vient de se présenter à lui ?
Pendant trois jours, comme Jonas dans le ventre du grand poisson ou comme Jésus dans le tombeau. C’est une forme de mort que Paul traverse : comme si pour recevoir Jésus, il lui fallait passer à son tour par une mort et une résurrection semblable.
C’est pendant ces trois jours où, aveugle, il est mis à terre, que le Seigneur lui donne une vision : celle d’un homme nommé Ananias qui vient pour qu’il retrouve la vue. Ce disciple du Christ reçoit à son tour la vision d’aller prier pour Saul. Dans l’intervention du Seigneur, tout exprime la venue de la lumière dans la vie de Saul. Cette lumière vient par le Saint-Esprit qui le vivifie et l’affermit dans la foi en Jésus. Mais pour en appuyer la réalité, il faut qu’un disciple du Christ vienne prier pour lui, et que sa vue soit physiquement restaurée.
Saul retrouve rapidement des forces et immédiatement s’en va témoigner que Jésus est le Christ, le messie annoncé par les prophètes qui est venu accomplir la volonté de Dieu d’apporter libération et vie aux hommes. Celui qui venait arrêter les disciples de Jésus, annonce maintenant ce même Jésus à ses frères juifs.
Devant cette même force de conviction avant et après sa conversion, certains pourraient penser retrouver la même personne, s’il n’y avait un signe révélateur et essentiel : celui qui était persécuteur devient persécuté, celui qui usait de violence pour défendre sa foi, devient objet livré à la violence pour témoigner de Jésus. C’est ce signe même que Jésus donne à Ananias pour le convaincre d’aller vers lui : « cet homme est un instrument que j’ai choisi pour faire connaître mon nom aux non-Juifs, aux rois et aux Israélites. Je lui montrerai tout ce qu’il doit souffrir pour moi. » Non, quelque chose a changé de manière radicale en Saul et c’est pourquoi son nom sera changé en Paul.
Ce récit est étonnant, fort mais je peux déjà imaginer les objections que l’on pourrait émettre : « il est peut-être arrivé à Saul de vivre un complet revirement, mais pour ce qui me concerne, je ne suis jamais devenu aveugle, je n’ai jamais entendu de voix, je n’ai pas eu de vision et j’essaye tant bien que mal de croire… »
Ce récit nous a été transmis non pour chercher orgueilleusement une expérience similaire ni pour nous lamenter de notre supposée médiocrité. C’est pourquoi je vous propose de considérer l’expérience de Saul comme un miroir grossissant. Le scientifique voulant observer les caractéristiques invisibles à l’oeil nu d’un insecte, ne va-t-il pas se servir d’un microscope ? De même cette conversion fait-elle apparaître ce qui dans l’expérience ordinaire et commune n’apparaît pas de manière aussi distincte et ramassée. Quelques personnes peuvent certes témoigner d’un retournement semblable à celui de Saul mais la plupart évoqueront un cheminement dans le temps, par petites touches, et le feront d’autant plus qu’ils auront vécu au sein d’une famille marquée par la foi et par la vie de l’Eglise.
Tous ne sont pas terrassés par une lumière, tous n’entendent pas une voix audible, tous ne deviennent pas aveugles, tous n’ont pas un envoyé qui vient prier pour eux afin qu’ils recouvrent la vue… mais à tous, la grâce de Dieu est la même, à tous le Christ veut se révéler comme le vivant, tous sont appelés à vivre avec le Christ ressuscité. Les moyens que le Christ utilise, le chemin que chacun parcourt sont à chaque fois différents mais le but est le même et le fruit que le Christ veut produire dans nos vies est le même !
Le premier enseignement que nous pouvons en tirer, c’est que la foi n’est pas l’adhésion à une doctrine ou à une théologie. Ce n’est pas une construction ni une conviction intellectuelle. La foi est d’abord une révélation. Elle est un regard nouveau qui est donné, un regard intérieur qui voit le Christ vivant, le Seigneur agissant, qui reconnaît la main de Dieu dans sa vie personnelle et dans le monde. La réflexion est certes importante pour approfondir cette foi à l’aune des Ecritures mais elle n’est pas la foi. Croire en Jésus, recevoir une nouvelle vision spirituelle et entrer dans une relation vivante avec lui sont les différentes faces d’une même démarche. La foi est une révélation de la personne de Jésus et une marche quotidienne avec lui, à son écoute.
Lorsqu’on échange avec des personnes en recherche, celles-ci expriment régulièrement la difficulté, voire même l’impossibilité devant laquelle elles se trouvent pour croire. Notre récit révèle que c’est dans ce que je vois déjà, que se trouve l’aveuglement, c’est dans mon regard que se trouve l’obstacle de la foi. La plupart du temps, j’essaye de croire à partir de ce que je suis, de mon passé, de mon expérience, de mes conceptions… Si je pouvais partir de moi-même, je verrais déjà le Christ vivant; toutes ces choses ne sont pas une aide mais au contraire une entrave. C’est ainsi que Paul écrit aux Philippiens : « Ce qui était pour moi un gain, je l’ai considéré comme une perte à cause du Christ. Et même je considère tout comme une perte à cause de l’excellence de la connaissance du Christ-Jésus, mon Seigneur. A cause de lui, j’ai accepté de tout perdre, et je considère tout comme des ordures, afin de gagner Christ. » (Philippiens 3:7-8)
Il me faut donc accepter d’être mis de côté pour que le Christ puisse ouvrir mes yeux intérieurs, ceux de l’esprit. Je dois accepter de ne pas partir de moi-même et faire le saut de la foi : croire que Jésus répond à mon appel et me donne lui-même de le voir ! Il est le seul qui puisse me donner cette nouvelle vision spirituelle ! Des passions, des expériences sont aussi en contradiction avec le Seigneur de la vie et constituent des entraves à l’ouverture de la foi. Il me faut alors les remettre au Christ en demandant et recevant le pardon que Dieu nous accorde à travers lui.
J’ai relevé le moment crucial qui marque le bouleversement de Saul : il reste trois jours sans manger, sans boire, sans voir, c’est le temps où tout s’écroule en lui. Dans son commentaire sur les « Actes », Daniel Marguerat écrit : « Entre la destruction de son projet de persécution et la recomposition de son identité, Saul est comme un homme mort, livré à ce qui viendra. Son identité est comme suspendue avant d’être recomposée ». Cet élément clef dévoile combien la foi est au-delà d’une construction intellectuelle ou religieuse : elle est une transformation qui touche les racines de notre personne. En ce sens, l’ouverture au Christ dans la foi, n’est pas une oeuvre à ma disposition mais un don agissant du Christ qui m’attire à lui. Je peux, je dois la rechercher et elle se trouve comme une grâce. Mais cette relation de confiance ne peut faire l’impasse d’une déstabilisation profonde dans laquelle ce en quoi je me confiais s’écroule sous mes pas. C’est à ce prix que le Christ peut me trouver !
Le livre des Actes nous restitue l’expérience de Saul (qui deviendra Paul) à travers le regard et les préoccupations de Luc. C’est non seulement le changement d’un homme mais c’est l’appel de celui qui deviendra l’apôtre des non-juifs et le bouleversement que le Christ opère dans la première Eglise afin de la conduire à annoncer la bonne nouvelle à toute personne quelle qu’elle soit. Il est intéressant de confronter le récit de Luc à la manière dont Paul lui-même en rend compte dans ses lettres aux Eglises. Et je citerai pour conclure la lettre aux Galates, dans laquelle Paul s’écrie : « Quant à moi, je ne veux me vanter que de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ ; en effet, grâce à elle le monde est mort pour moi et je suis mort pour le monde. 15 C’est pourquoi être circoncis ou ne pas l’être n’a aucune importance : ce qui importe, c’est d’être une nouvelle création. » (Galates 6:14)
Dans ses modalités, l’expérience de Saul est singulière mais la transformation de Saul en Paul et le fruit de cette transformation nous concerne tous : elle est le modèle de ce que le Seigneur veut accomplir en chacun de nous. C’est en cela que la foi chrétienne est unique et qu’elle est une bonne nouvelle pour tous les hommes.
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